Journal de création de La Pire Espèce | Références et adaptations
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31 Mai Références et adaptations

Parmi les questions aiguës qu’aura soulevées le travail sur l’adaptation accompli pendant les quelques jours de cette étude du Théâtre de la Pire Espèce, la plus importante concerne peut-être le lien entre l’adaptation et l’objet d’origine. Faut-il absolument connaître l’original pour apprécier une adaptation à sa juste valeur? Si certains souhaitaient répondre rapidement par la négative, il me semble nécessaire de pousser un peu plus loin.

Dans un premier temps, on pourrait sans doute estimer que toute proposition doit pouvoir tenir sans références extérieures. C’était le cas de la plupart des courtes formes proposées pendant l’exercice. Mais nous pourrions alors nous demander quel peut être l’intérêt d’adapter si ce n’est pas de se mouvoir au sein d’une série de références qui résonneront davantage pour qui connaît l’original. Prenons l’exemple des très nombreuses relectures de contes populaires : l’intérêt, après tout, de voir une adaptation de Cendrillon ou du Petit chaperon rouge, c’est de savoir ce que devient la chaussure oubliée ou le grand méchant loup…

Dans le premier texte de cette série, j’explorais l’idée que l’adaptation est une forme de miroir déformant. Bien sûr, n’importe qui étant exposé à l’image produite par un miroir déformant pourra se douter que quelque chose est décalé, mais c’est vraiment dans ses références que le gag prend son sens.

Par exemple, un travail d’adaptation de Richard III de Shakespeare reposait sur une série de courtes phrases chaque fois illustrées par quelques objets ou figurines. S’il est probable que le numéro ait son efficacité pour quelqu’un qui ne connaît pas l’original, les nombreux clins d’œil à la pièce (et à sa réputation) auront plus d’impact sur quelqu’un partageant ce bagage culturel.

On pourrait aussi penser à une intéressante adaptation du Shining écrite par Francis Monty où le narrateur se remémore un moment de son enfance qui résonne étrangement avec le film. L’histoire, quoiqu’autonome, prend toute son épaisseur quand on reconnaît les citations (textuelles et stylistiques). Y compris des références à la voix des doublages en français dans les films de cette époque…

On me demandait récemment dans une entrevue publique quel est mon rapport aux classiques. C’est toujours un peu gênant d’admettre que ça me passionne assez peu… Mais (il y a un mais!) je constate à chaque fois quand ma culture classique s’approfondit tout ce qu’elle me permet de mieux comprendre en culture contemporaine. Les citations sont partout et l’adaptation, me semble-t-il, y pige allègrement.

Mais il est vrai que l’adaptation ne perd pas nécessairement toute son efficacité si nous ne connaissons pas l’original. Surtout si c’est une œuvre assez emblématique pour qu’on la connaisse tous un peu sans la connaître vraiment. Pierre Bayard en parle abondamment dans Comment parler des livres que l’on n’a pas lus.

En vérité, je n’ai jamais vu The Shining (je suis bien que trop chochotte pour ça). Il m’a fallu lire Ma vie rouge Kubrick de Simon Roy deux fois plutôt qu’une pour constater jusqu’à quel point la culture populaire est imprégnée de citations de ce film. À force de m’informer par le biais, j’ai pu capter la plupart des citations du film dans les adaptations qu’auront proposées les artistes pendant cette étude d’avril.

En vérité, le jour où je me déciderai enfin à voir le film de Kubrick, j’aurai peut-être le sentiment qu’il n’a rien à voir avec l’original ou du moins l’idée je m’en serai fait en tournant autour. Quelqu’un qui ne connaît que le reflet déformant du miroir n’a certainement pas une idée très limpide de l’objet d’origine.

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