En transformant l’usage d’un objet, en métamorphosant l’outil en symbole, le théâtre d’objets postule toujours un autre monde. Un monde identique mais riche de significations nouvelles. Or, contrairement au théâtre et au cinéma, il ne crée pas un monde factice, fait de toc ; il s’ingénie à révéler de ce monde-ci le double. Un monde parallèle, que nous avons toujours eu sous les yeux sans savoir le reconnaître. Un monde que nous sommes invités à percevoir différemment.
Cette fonction révélatrice du théâtre d’objets, rien ne l’illustre mieux que le miroir, qui, littéralement, dédouble le monde.
En offrant au spectateur immobile un point de vue supplémentaire, en lui reflétant la face cachée des choses, en juxtaposant l’avers et le revers de l’univers, il consacre la multiplicité du réel et fait éclater l’idée d’une vérité unique. Peut-être arrive-t-il même à nous faire douter de notre identité.
Cet incontournable du théâtre d’objets — j’emploie l’adjectif à dessein — semble vouloir disparaître sur scène au profit de ce qu’il reflète. Or il ne peut pas être évité. Notre regard s’y élance et s’y perd invariablement, à la recherche de cet autre monde, plus riche de sens, qui promet mieux, qui contient tout (et nous contient, nous).
Si ce monde est multiple, alors chacun de nous l’est aussi.
Perspective excitante et inquiétante à la fois.
« L’univers visible est une illusion ou un sophisme. Les miroirs et la paternité sont abominables parce qu’ils le multiplient et le divulguent ».
Citation attribuée à un hérésiarque d’Uqbar, pays d’Asie Mineure situé sur Orbis tertius (un monde parallèle évoqué par Jorge Luis Borges dans son recueil de nouvelles Fictions).