Les bruits de bouche

Cité de Montréal, 16 mars 2019

Pour monsieur Jacques Robert
L’expédition – Poste de brousse 7285

Bonjour Jacques,

J’ai réfléchi à cette histoire de « bruits » dont vous m’avez fait part. C’est très intéressant. Je vous encourage à pousser l’enquête ; si le comportement que vous me décrivez est assez répandu au sein de votre population, il y a assurément une publication à faire.

Ça me semble des découvertes fertiles pour les théories de la communication. Vous êtes familier avec la notion de redondance ? Nous, linguistes, l’utilisons pour identifier si une information se trouve redoublée à l’intérieur d’un énoncé donné. Pas pour « faire du ménage » dans la langue, bien sûr, mais pour analyser le contexte d’énonciation. Par exemple, la redondance est plus marquée lorsque la communication est difficile ou lorsqu’il est plus impératif de se faire comprendre. Elle dépend, nous pourrions dire, de la tolérance à l’ambiguïté dans une discussion. Doit-il être limpide et sans équivoque, un échange contiendra un plus grand nombre de redondances.

Ce « geste de fusée » et cette « fumée de décollage » que vous m’avez décrits contiennent chacun, sur le plan linguistique, l’information suffisante. Il y a donc redite et confirmation du sens perçu. Et puis, si l’on surajoute ce bruit de bouche, ce « son de réacteur » dont vous m’avez parlé, on peut compter une deuxième redondance.

Cette fusée a été évoquée, si j’ose dire, en trois dimensions ! C’est sans ambiguïté. Elle n’était pas là, nous le savons tous deux. Pourtant, comme vous dites, vous l’avez bien vue, cette fusée. Sur le plan de la communication, vous en êtes triplement certain, et vous avez trois fois raison !

Geste et son de cheval galopant, geste et son de pelle mécanique, de fusée qui décolle, de flatulence qui retentit, etc. : il semble, si je m’appuie sur le corpus que vous m’avez transmis, qu’un lien étroit d’interdépendance attache systématiquement bruits de bouche et gestes illustratifs. Il n’est pas interdit de supposer déjà qu’il s’agisse d’une stratégie communicationnelle privilégiée par votre « pire population », comme vous dites.

Et en ce qui concerne ces tracas que vous m’avez partagés, je ne peux que vous réprimander une fois de plus d’être aussi hésitant. C’est du très beau travail que vous faites avec vos lettres publiques, je vous assure. Bien sûr que le format est un peu étonnant, mais c’est bien mené et c’est ce qui compte. Le ton est ferme. Non, vraiment, ça fait très sérieux et tout. Fernande et moi lisons vos envois avec beaucoup de plaisir.

Meilleurs vœux de nous deux pour la suite de votre expédition,

P.S. : Vous pourriez vous pencher sur la question de la nomenclature des liens de parenté.

Nous serions très intéressés à vous lire.

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