Le pamplemousse

Je sais pas si tu peux te rappeler ce monde-là, cette vie-là. Quand tout ton univers tenait au creux de tes deux mains jointes comme un fruit précieux et odorant. L’écorce du monde laissait sur tes paumes une odeur de Noël. C’était le monde des origines. Citrus Paradisi. Rond, plein, gorgé.

À présent, et depuis des années déjà, tu t’épivardes dans l’espace pour rassembler les morceaux disparates, assoiffé d’essence, mais sans savoir d’où l’extraire. Tu inventes des rituels de plus en plus païens. Tu rêves à la fois d’exotisme et de cohérence, mais rien ne goûte vrai, rien ne tourne rond. Tu crois te souvenir encore de cette ère, mais c’est déjà si flou. Le flou du flou du flou.

En fait, tu ne peux pas te rappeler de ce monde-pamplemousse. Il n’apparaît nulle part. Sur aucune scène. Dans aucune captation vidéo. Tu as cru l’apercevoir roulant à travers l’abîme d’une boîte noire, une fois seulement, mais c’était si fulgurant. On parle de ce monde d’avant, de ce volume d’énergie chaude tenant au creux des mains. Mais personne ne l’a vu. C’est une image, une apparition par le langage. Comme un souvenir d’enfance. Une fiction. Le mythe douçâtre des origines. 

 

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