Le chapeau

Notes sur l'objet de culte

En temps normal, nous attendrions les résultats du laboratoire avant de partager ce type d’impressions. Toutefois, les données récoltées jusqu’à maintenant paraissent à certains d’entre nous amplement suffisantes pour faire l’objet d’une parution publique. Sujets à une impatience scientifique des plus piquantes – et qui commence à créer des frictions au sein de l’équipe – nous allons dès aujourd’hui nous risquer à formuler une synthèse que d’aucuns trouveront sans doute assez alléchante.

« Quels objets peuvent être utilisés lors de cérémonies ou rituels divers ? » Partant de cette simple question, l’équipée a lancé auprès des Pires une enquête concernant la fabrication des objets de culte. « Ben ça. Ou ça. », disaient simplement les locaux en empoignant les objets qui se trouvaient à portée de main. La candeur des réponses avait de quoi déstabiliser. Une tasse, un marteau, un soulier : tout objet semblait également adéquat.

Soucieux de pousser plus loin l’interrogation, nous nous sommes munis de papiers et avons tracé toute une série de dessins représentant divers objets. À la vue du tracé d’un très grand chapeau, un des chefs – car ils sont deux ! – s’est mis à dévisager tout le groupe. Il semblait chercher une réponse. Nous avons patiemment attendu son verdict. « Non, s’est-il finalement exclamé, personne ici a une tête aussi grande. » Et tous approuvaient.

On ne trouverait décidément pas ici la somptueuse complexité de la marionnette à fils, ni la naïveté attendrissante de la marionnette à gaine. Pas de place non plus pour le concept, pour l’idée d’une chaise telle celle sur laquelle l’idée de Platon aurait l’idée de s’asseoir. Non, que des objets concrets, tels quels, ceux de la cuisine et du salon de chacun, le monsieur-madame tout le monde des objets.

L’équipe était secouée. Il y a un minimum en dessous duquel un ethnographe peine à travailler, pensaient certains. C’était à se demander si nous n’avions pas affaire à un groupement à ce point peu sophistiqué que ses productions puissent être dénuées de tout artisanat. Une population qui se contenterait du monde tel que la nature le lui présente sans être jamais traversée d’une pulsion culturelle !

Mais la scrupuleuse et méthodique observation nous a permis d’arriver à de toutes autres conclusions. Et si leur « théâtre d’objets » racontait une histoire trop fondamentale, une histoire qui soit passée sous le radar, tombée sous le sens ? Si chaque fois se répétait en fait le récit d’une même expérience fondatrice, une même intuition ? L’expérience d’une légende, d’une poésie, d’une magie qui apparaissent sans s’annoncer. L’intuition qu’une histoire digne d’être racontée est toujours contenue dans le moindre objet.

On oppose généralement nature et culture, n’est-ce pas ? D’un côté, il y aurait ce que l’existence nous offre, de l’autre ce que l’on en fait. Nous concluons : ce que l’on trouve ici, c’est simplement la culture d’une civilisation dont la nature est faite d’ouvre-bouteilles, de thermos, de jeux de quilles et de chapeaux juste assez grands.

PS : Notre prochain courrier traitera de la prohibition de l’inceste.

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