Le bras long

Observation sur les mythes fondateurs

Durant tout le siècle dernier, l’analyse des mythes a permis à la discipline ethnologique de prendre la mesure de l’importance qu’un mythe fondateur peut avoir sur une communauté qui le véhicule. C’est jusqu’à la façon d’envisager l’humanité dans ses interactions avec son environnement qui en découle. Ainsi a-t-on pu observer que chez certains peuples, des catégories provenant du monde animal réglaient les conduites. Les clans de l’aigle, du paresseux ou du kinkajou, par exemple, adopteront des comportement spécifiques. Or il n’est pas rare chez ces gens que l’on vous fasse le récit des origines comme d’une époque où les divinités animales se mélangeaient encore avec les humains, allant parfois jusqu’à contracter avec eux des mariages. Les règles de vie et les catégories marquées par l’imaginaire animal seraient le vestige de ce passé depuis longtemps révolu.

Chez les Pires – car rappelons au lecteur que tel est notre sujet d’étude, bien que nous ne nous refusions pas de temps à autre à fournir au non-initié quelques explications préliminaires, quelques éclaircissements didactiques en guise de prolégomènes, etc. Chez les Pires, donc, nous observons un phénomène analogue.

Leur mythologie est parsemée de figures humaines dont un objet ou une matière tient lieu d’organe. Tête de cône, tête de poule, tête de papier, mains-clochettes, pied en sac-à-pet, trompe et bras long : le costume n’est pas une fioriture, un enjolivement. C’est un empêtrement – au bas mot – un destin, en tous cas quelque chose dont on ne se déprend pas si aisément.

Et si ces figures mythiques étaient, elles aussi, le vestige de quelque chose ? Ne seraient-elles pas la trace d’une époque antérieure à la séparation des règnes de l’humain et de l’objet ? Nous suggérons cette analyse. Et cependant que nous la suggérons, nous mesurons combien elle entre en conflit avec tout l’édifice de la philosophie occidentale, toute dédiée qu’elle est au sujet, au détriment, bien sûr, de l’objet.

Mais nul n’est besoin de chicaner. Laissons-nous plutôt attendrir par ce regard nostalgique que les Pires posent sur ce qui semble être leur paradis perdu. Écoutons cet hommage, par lequel ils tentent de rendre justice aux matières qui nous environnent, et dont, peut-être, nous sommes issus. Après tout, diraient certains, pourquoi refuse-t-on aux pierres la participation aux tremblements du monde ?

 P.S. : Le prochain envoi portera sur la cuisson du pain plat et les poteries utilisées à cet effet.

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