Verbatim de l’introduction par Clovis Darieu des travaux de la Chaire d’étude d’objets potentiels de L’académie de l’objet, section Amérique du Nord, ouvroir B.
[…]
L’absence d’objet se constate principalement dans trois situations.
Premièrement : Avant que l’objet apparaisse sur scène
On l’anticipe. On l’espère. On a hâte de voir l’objet paraître, être mû, et, han, disons-le, signifier. C’est l’instant du désir. Le spectateur imagine en rafales les formes multiples que l’objet est susceptible, han, de prendre à cet instant précis du récit. Avec l’inévitable entrée en scène, han, de l’objet tant attendu, l’attente fébrile se conclura généralement en apothéose (si l’objet revêt l’une des formes rêvées) ou en surprise extatique (dans le cas contraire).
Deuxièmement : Une fois l’objet disparu
L’absence s’accompagne alors d’un sentiment plus ou moins souffrant de manque.
Loin des yeux, près du cœur, han, dirons-nous alors. Car, dès qu’il disparaît, l’objet scénique, vite devenu familier, envahit une autre part du spectateur, une part plus intime, s’y installe et grandit. L’anticipation fait place au souvenir. Nous voilà nostalgiques. Dès lors, un seul regard du manipulateur en direction de l’endroit où se trouvait l’objet avant, han, de disparaître suffit à re-susciter avec précision son image, et avec elle, l’empreinte qu’il a laissée en nous, peut-être à jamais. Comme Obi-wan Kenobi, comme Jésus et comme tant d’autres, han, il est presque plus fort une fois disparu qu’avant.
Et, han, troisièmement : Face au vide (ou au non-objet)
Après l’objet espéré et l’objet disparu, tous deux bien concrets, nous sommes ici en présence d’un objet qui n’est pas là, qui jamais ne fut et jamais ne sera. Littéralement, han, d’un objet absent.
Un objet, donc, rigoureusement imaginaire. Il est clairement invisible, mais néanmoins perçu par le spectateur qui lui donne les traits qu’il désire. C’est en quelque sorte, han, l’inverse du zéro. En effet, alors que le zéro est un signe dont la fonction est de représenter ce qui n’est pas, l’absence d’objet est au contraire un non-signe qui suggère quelque chose qui est. Le mouton de Saint-Exupéry en est, han, un exemple célèbre.
Mais d’où viennent donc ces objets fantômes ? Eh bien, c’est le spectateur qui les crée, par suggestion. Dès lors, ils existent en lui, et complètent enfin l’esquisse qu’offre à ses sens excités l’espace scénique à moitié habité.
Comme pour l’ombre, qui n’est au fond, han, qu’une absence de lumière, les contours de l’objet absent sont dessinés par l’ensemble du réel qui l’entoure. C’est une réalité parallèle qui se découpe en négatif.
[…]
L’absence d’objet est en quelque sorte la matière sombre du théâtre d’objets, l’insaisissable (littéralement) mais nécessaire présence qui assure la cohésion de l’univers troué en expansion sur la table.