La boule de quilles

De l'invention de la robotique

Nous avons parlé ailleurs du mythe fondateur de la pire population sous étude. Un mythe qui, remontant à une époque antérieure à la séparation des humains et des objets, floue les catégories de l’animé et de l’inanimé. Nous avons alors pensé, quoique sans en faire mention, au rapport que ces pratiques entretenaient avec le paradigme de la biomécanique moderne. Eh bien il y a plus, il y a mieux et même – comme on dit ici – il y a pire ! 

La communauté scientifique est en voie d’attribuer à notre groupement désormais favori – quoique sans familiarité – l’invention de la robotique ! Nous travaillons actuellement à un ouvrage qui en traite avec toute la rigueur que le métier exige. Nous n’avons pas ici l’occasion de nous étendre en doctes démonstrations ; pour l’instant, contentez-vous de nous croire, vous serez gentils.

Prenez par exemple un jeu de quilles. Imaginez la trajectoire, insufflez cette trajectoire à la boule, et lancez. Vous expérimentez alors une forme de proto-robotique, mais cela, dans l’éclat du divertissement, vous ne vous en doutez pas.

« L’esprit est l’idée du corps », nous dit Baruch Spinoza. Dans la pensée du philosophe – dans son corps aussi, déduisons-nous – la question centrale de l’existence humaine est de connaître ce dont elle est capable. Si l’esprit est bien « conscience de ce que le corps peut et ne peut pas », alors l’habitude d’imposer sa volonté aux objets n’est sans doute pas un maigre détail. 

Que peut la pire espèce de corps ? Déplacer d’autres corps, les animer – qu’ils soient inorganiques importe peu. C’est un corps qui commande le réel, et la pire espèce d’esprit le sait. Nous avons donc affaire à une population éminemment robotisante ! Programmer le déplacement d’un objet est chez eux un geste aussi commun que peuvent l’être chez nous de conduire, de boire du café ou d’avoir une opinion.

La robotique est ici à l’image de la poudre à canon dans les feux d’artifices de la Chine de l’an 1000. Voilà ce que dans les deux cas, des observateurs trop empressés se seront exclamé : « Quelle population arriérée se contente de faire des spectacles avec des techniques qui pourraient nettement améliorer son arsenal militaire ? »

Veuillez pardonner toutes ces incursions que nous faisons dans les champs respectifs de la sociologie, de la philosophie classique et de l’épistémologie des sciences ; de telles avancées demandent de la part des scientifiques qu’ils ignorent leur querelles disciplinaires et marchent un instant main dans la main.

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