Je déteste le théâtre d’objets.
Au début, comme plusieurs, j’ai été charmé. En sortant d’Ubu, je m’en souviens très bien, j’ai été frappé par l’étonnante vivacité des objets meublant mon quotidien. Tout dans ma maison avait désormais l’air de quelqu’un. C’était rafraîchissant.
Depuis, je suis le spectateur le plus assidu de tout ce qui se fait en objet.
Mais je ne pouvais pas me douter que ça irait si loin. Que la Pire Espèce ne se contenterait pas de réinterpréter les choses, mais aussi les gestes les plus quotidiens. Qu’elle s’attaquerait à mes rituels les plus fondamentaux. Une forme de théâtre en apparence si légère a-t-elle le droit d’injecter des doutes aussi essentiels en moi ?
Certains n’écoutent plus les nouvelles pour éviter le bouleversement parfois durable que ses images indélébiles provoquent. Pouvais-je imaginer que mon penchant pour le théâtre d’objets me contraindrait un jour à cesser le café ?
Les promesses huileuses de la fève parfaitement torréfiée, le ronronnement du moulin, les arômes suavement envahissantes du grain broyé, l’opacité mystérieuse du précieux liquide, surmontée de sa crema éphémère, et ce court instant d’éternité où les lèvres aspirent délicatement l’amer éther… tout cela, perverti par la Pire Espèce.
J’ai donc arrêté le café à cause d’eux. Pour de bon. Pour ma santé. Mentale.
Souvent, j’entends en moi cette voix stridente et mielleuse qui m’appelle, m’invite et me tente :
– Un petit café ?
C’est la voix de la mère d’Éthienne, dans Petit Bonhomme en papier carbone, qui insiste et répète et résonne en moi. Avec de l’écho… quelle horreur.
– Un petit caféééééé ?
Un conseil : ne faites pas comme moi, ne regardez pas la vidéo de Villes.
J’aimais le café.
Je déteste le théâtre d’objets… mais je ne suis pas capable d’arrêter.